Entre sourire et larmes, c’est l’esprit de cette soirée de suivi des résultats au siège du HDP de Diyarbakir. De longues heures d’angoisse, des sueurs froides, et une liesse populaire à l’annonce des premiers résultats locaux. Encore plus lors de l’annonce du passage de la barre des 10% aux législatives à l’échelon national.
Après 3 années sous pression, la soupape de sécurité saute : enfin une victoire, malgré les tricheries que toutes les équipes d’observateurs et observatrices internationaux ont fait remonter, malgré la manipulation, malgré les pressions et les violences. Un petit combat de gagné mais un réel soulagement : environs 68 députés HDP entreront à l’assemblée. Danses, effusions, feux d’artifices … la foule s’amasse et exulte. Un instant de repos, de victoire, dans un quotidien d’oppressions.
Pendant ce temps, les cadres du parti, les observateurs politiques, regardent avec inquiétude les autres résultats tomber. Vers 22h, quand la tendance se précise, le temps est aux larmes : la coalition gouvernementale a tous les pouvoirs, l’extrême-droite est en progression, la gauche et le centre sont étriqués au milieu d’un océan réactionnaire. La joie de la petite victoire pèse peu face aux dangers qui guettent.
La volonté du gouvernement Erdogan de faire taire toute opposition n’est un secret pour personne, que ce soit en Turquie ou en Europe. Pourtant, la capacité à fermer les yeux des gouvernements comme des médias sur ce positionnement assumé n’en finit pas de crever les yeux.
Il est des illustrations très concrètes de ceci, comme le fait que la presse Turque annonce la victoire de Erdogan et des scores qui s’avèreront plusieurs heures plus tard être effectivement (comme par hasard) les résultats officiel alors que le dépouillement n’en est même pas à 20%. Dans le même ordre d’idées, le parti allié de l’AKP de Erdogan, le MHP, bien que divisé, bien que ses dissidents fassent un score honorable sur une autre liste fait opportunément le même score que lors des dernières élections. Encore une fois, un total hasard, évidemment.
Face à la foule en liesse, l’inquiétude des cadres est palpable et compréhensible. 2 millions de bulletins auraient opportunément été déclarés nuls et plus rien ne constitue de contre-pouvoir face à Erdogan. Si ce soir la joie est légitime, tout est à craindre pour la sécurité des kurdes et des militant-es de gauche dans les semaines à venir.
Sans témoins étrangers sur place pour diffuser les exactions, la population est une proie facile pour la coalition gouvernementales. Et c’est à ce moment que ces paroles, si souvent entendues, résonnent plus fort encore : “vous faites quoi, en Europe, à part nous laisser mourir ? Venir pour les élections, c’est très bien … mais le reste de l’année, tous ces jours où nous souffrons … où êtes-vous ?”.
Pour contextualiser, Le Monde rappelle les déclarations de l’OSCE :
« Le chef de la mission de l’OSCE, Ignacio Sanchez Amor, a mentionné, lundi, des irrégularités « sérieuses », telles que des bulletins non tamponnés, ou pas systématiquement enregistrés lors de leur livraison dans les bureaux de vote.
Dimanche soir, le CHP, qui avait envoyé des représentants dans la plupart des 180 000 bureaux de vote, a dénoncé des tentatives de fraude provenant surtout de la province de Sanliurfa (sud-est du pays) et affirmé que M. Erdogan avait obtenu moins de 50 % des voix, et qu’un second tour était nécessaire – avant de reconnaître sa défaite, lundi.
Le procureur public de Sanliurfa, dont dépend la ville de Suruç, a annoncé avoir ouvert une enquête sur ces accusations et quatre personnes ont été arrêtées, selon l’agence de presse étatique Anatolie.
L’OSCE, qui avait déployé pour les élections des observateurs internationaux, a dénoncé l’absence « d’opportunités égales » pour les candidats, tout en estimant que ceux-ci avaient pu transmettre leur message au public.
Le rapport de l’OSCE et du Conseil de l’Europe met en avant les conditions de campagne inéquitables des différents partis, notamment sur le plan médiatique, le parti au pouvoir et le président sortant bénéficiant d’une couverture « plus favorable » : « Les organes médiatiques, dont l’audiovisuel public, n’ont pas offert aux électeurs des informations équilibrées sur les différents candidats. »