Culpabiliser la population ? Danger

Le réchauffement climatique ? Mais c’est parce que vous ne coupez pas l’eau quand vous vous lavez les dents ! Le déficit public ? C’est la faute des assistés et de ces profiteurs de fonctionnaires qui vivent au crochet de l’état ! Je continue ? La rengaine de ce gouvernement, mais il n’est pas le premier à la faire, est bien connue : la faute incombe toujours à la population, jamais au système qui contraint cette population.

De fait, quoi de plus logique, en temps de crise sanitaire, que de faire porter la charge de la faute sur les citoyennes et les citoyens ? Pourtant, la réalité est bien moins simple et bien moins glorieuse pour nos gouvernants, politiques comme économiques. 

Nier l’aspect systémique, l’aspect politique des grands enjeux et des crises actuelles est un outil classique, très vieux monde, de manipulation et de propagande. Il sert à la fois à se racheter une virginité politique et à se défausser de sa responsabilité.

Car si le coronavirus version 2020 est devenu pandémie, ce n’est pas par hasard. Certes, personne n’aurait pu prévoir cette crise, comme le rappelle la figure médiatique des collapsologues Pablo Servigne. Mais les éléments qui la permettent étaient, eux, connus. Ecologues, virologues, écologistes,… toutes et tous alertaient sur de tels risques. Pourquoi ?

Parce que les coronavidés (virus issus de la famille des coronavirus) sont naturellement présents sur les animaux sauvages. En détruisant, par des choix politiques et économiques dangereux, leurs écosystèmes, nous réduisons leurs espaces de vie et les poussons à des contacts accrus avec les humains et leur nourriture. En sur-developpant l’élevage industriel, de végétaux comme d’animaux, dans des fermes usines, nous accélérons sa transmission aux humains et, potentiellement, ses mutations. Parce que le braconnage d’espèces sauvages et protégées perdure, comme c’est le cas avec le pangolin, on développe des circuits de propagation supplémentaires. Si ce n’est pas la première crise de coronavirus, MERS, SRAS, H1N1, etc étaient aussi de la famille des coronavirus, pourquoi avoir continué comme avant malgré les morts, malgré les crises, malgré l’analyse scientifique des causes et conséquences ?

Parce que faire porter la responsabilité de l’épidémie sur la personne qui a mangé un pangolin à Wuhan dispense le corps dominant de ses responsabilités. Non, ce n’est pas le système qu’ils ont promu ou soutenu qui est responsable : c’est cet homme, ce chinois, avec des mœurs irrespectueuses des règles. De fait, pourquoi changer alors que la faute incombe à une personne ?
Logique. Logique ? Pas tant que ça à y regarder de plus près : dans un système vertueux, qui respecte la nature, les chances de développement du covid-19 auraient probablement été moindres.

Les discours, d’Emmanuel Macron et de la majorité présidentielle, sur l’Union sacrée de tout le champ politique et la responsabilité de ces mauvais citoyens qui ne respectent pas à la lettre le confinement sont dangereux. Non seulement parce qu’ils détournent le regard des responsabilités réelles, mais en outre parce qu’il exempte le gouvernement de mesures de sortie de crise capables d’éviter que cette situation ne se reproduise.

Car l’Union sacrée de l’après guerre, grande référence des tenants de cette ligne, n’a rien d’une union du tout vaut tout et du tout est dans tout. Elle faisait, certes, travailler ensemble des gens aux visions politiques très différentes mais qui avaient partagé la lutte contre le même ennemi en temps de guerre. Or nous ne sommes pas en guerre mais en lutte pour – pour reprendre une expression du président allemand – défendre et revendiquer notre humanité.

Nous n’avons donc pas d’ennemi commun : nous avons le devoir de nous battre ensemble contre un virus qui décime nos population. Et si ennemi nous devions collectivement désigner ce serai celui qui a fait le choix de faire primer les bénéfices des flux financiers et boursiers sur le principe de précautions, la santé et la protection de la nature qui pourtant nous permet de vivre.

Si ennemi il y a, donc, c’est le libéralisme. Et sur ce point, nous ne sommes pas, gouvernement et écologistes, dans le même camp. Il n’est certes pas tout seul, politiquement, dans le camp des défenseurs du système. Les trois droites et leurs nuances l’ont en commun. Mais il n’y a, dans ce contexte, pas d’union possible.

En poussant le champ politique et la population à un choix politique simpliste, qui constitue par ailleurs l’épine dorsale de la communication de LREM depuis sa création, du « nous ou le chaos », le gouvernement dit en creux la réalité de sa vision de la crise : rien ne changera, vous payerez pour nos erreurs. Et c’est là tout le danger. Du scandale des masques à la casse des hôpitaux et de la recherche, rien ne va plus dans la gestion de cette crise. Pourtant, le risque de saturation des lits de réanimation est souligné depuis février par les spécialistes. C’est logique et mathématique. Mais le gouvernement, comme l’a souligné Agnès Buzyn quasi à son corps défendant, a fait le choix de ne pas agir dans les temps pour préserver les bénéfices financiers de quelques uns. 

En niant les différences politiques, sous le vocable de l’union, le gouvernement cherche une porte de sortie. Si toutes et tous sont tenus par la solidarité d’affichage gouvernemental alors pas de critique, pas de soucis, et en route pour 2022.

Mais comment faire croire que des gens qui font passer la rente des actionnaires avant les besoins de la santé peuvent partager un projet de société avec ceux, comme les écologistes, qui défendent les droits de la nature comme principe premier, puisque l’essentiel de notre vie, même économique, dépend de son respect et de son équilibre ? Même la pharmacopée se nourrit des principes actifs des plantes, donc de la nature.

Comment lutter contre les menaces à venir si les plantes, dont les médicaments de demain seront issus, disparaissent ? Comment développer la recherche d’anticipation nécessaire si on diminue les moyens dédiés à la recherche ? Comment assurer l’égalité face au droit d’être en vie si le département le plus pauvre de France reste tellement sous-doté en moyens de santé que son taux de mortalité en cas d’épidémie est le plus élevé de France ?

Qui sont aujourd’hui celles et ceux qui mettent en danger la vie de centaines, de milliers de personnes, par leurs choix ?

Les franciliens qui vivent parfois entassés dans des logements parfois minuscules, parfois insalubres, qui sortent un peu plus que la moyenne dans la rue ? Les parents qui emmènent leurs enfants dehors au parc ? Les gens qui jouent au foot ou font des barbecues ? A en croire gouvernement et médias, il faut croire que oui. Pourtant, qui met en danger depuis des semaines la vie des soignants et des personnels de EPAHD (pour ne citer qu’eux) en les exposant à la charge virale virulente de malades sans protections adaptées ? Qui interdit aux forces de l’ordre le port de masques alors qu’ils et elles sont au contact de la population pour maintenir le confinement ? Qui a supprimé des milliers de lits d’hôpitaux et de réanimation qui manquent tragiquement aujourd’hui ? 

Oui, il est plus facile de culpabiliser une population que d’assumer, sous les dorures de la République, ses responsabilités. Mais les très documentés dossiers de Mediapart, et d’autres, viennent mettre à mal la fable racontée par le gouvernement. Les français ne sont pas dupes. Ils et elles subissent, au péril de leur vie, les choix politiques de ce gouvernement et de ses prédécesseurs. Des décisions qu’ils n’avaient pourtant pas choisies.

La population se confine et respecte, dans son immense majorité, les restrictions des droits et libertés imposées. Nous le faisons toutes et tous parce qu’il n’y a plus aujourd’hui le choix.

Sans masques, sans dépistage massif, il n’y a d’autre solutions qu’un confinement long et massif, le temps de trouver…. Des masques, des tests et des lits. 

Le monde d’après demande mieux qu’une vision obsolète. Mais pour envisager d’autres mesures – celles dont nous avons vraiment besoin – c’est politiquement qu’il faut collectivement faire basculer le pays, dès maintenant.