Il y a une expression parfois qui me heurte, malgré le nécessaire changement qu’elle porte : l’écologie populaire. Elle me heurte parce qu’elle induit l’idée, malgré elle, que l’écologie ne serait pas un outil d’émancipation, de lutte contre les hiérarchies imposées, de transformation sociale de la société. Pourtant, elle dit quelque chose de l’écologie. Elle souligne ce qu’on aime se cacher à nous-mêmes dans les milieux écolos, qu’ils soient ou non politiques : les mouvements écologistes souffrent d’une trop grande uniformité.
Et les exemples sont légion.
Jérémy , qui a lancé avec Annabelle l’initiative « Décolonisons l’écologie » témoigne : « J’ai été deux fois invité à un endroit très connu du mouvement écolo, mais je vais pas citer de nom, où j’étais non seulement le seul invité racisé mais aussi de la salle puisque aucune personne de l’audience n’était racisée. L’intervention se prêtait à parler du fait que j’étais racisé dans le mouvement écologiste. Pour la première fois, j’ai donc enlevé ma casquette écolo et j’ai parlé en tant que personne racisée. A la fin de l’intervention on est venu me voir pour me demander pourquoi j’avais parlé de ça, que j’aurais pu ne pas le dire et cela n’aurait rien changé à mon propos, que ça n’avait rien à faire là. Des gens pourtant engagés, écolos, etc. J’ai récemment fait une story pour parler de ça, et une des personnes qui gère ce lieu m’a répondu « ouais mais c’est les personnes racisées qui viennent pas, c’est les banlieues qui viennent jamais à ce genre d’événement … on sait pas comment faire pour les inviter, c’est de leur faute ». »
Cette cécité sociale, cette cécité collective, impose de reprendre cette terminologie, pourtant contradictoire, d’écologie populaire. De fait, l’expression devient un outil de réappropriation. C’est ce que font d’autres acteurs, comme Fatima Ouassak, qui, à la fois, écrit sur l’écologie populaire et développe des actions concrètes de mise en œuvre de son travail de réflexion à l’échelle locale, inspirant d’autres actrices et acteurs dans le reste de la France.
Notre incapacité à faire le lien, qui se traduit dans le recours à cette expression, est en soi le symptôme de notre incapacité à faire sortir l’écologie des milieux convaincus, confinés.
Des milieux merveilleux de créativité, d’action de terrain, mais à leur corps défendant d’une façon qui crée un effet repoussoir sur une partie de la population. Et je reconnais à regrets qu’EELV participe en partie, et à son corps défendant, de cette incapacité à être autre chose que l’image d’une classe dominante éclairée. A ce jour, nous n’avons pas encore su faire suffisamment sortir l’écologie des milieux convaincus. C’est le combat de notre génération, probablement. L’un des miens, assurément.

Pourtant, à l’image des exemples ci-dessus et de nombreux autres, l’écologie est forte et vivante là où on a le plus besoin des changements qu’elle promeut. Pour le montrer, pour faire du lien, pour la renforcer, à mon échelle, j’ai donc décidé de soutenir un documentaire qui montre cette réalité, à travers le regard d’adolescents de Seine-Saint-Denis. Ce film s’appelle « Douce France » et il mérite une attention particulière, encore plus en ces temps de confinement.
Il suit Amina, Sami et Jennyfer. Ils ont 17 ans et vivent en banlieue, à Villepinte, pas très loin de Gonesse. Interrogés par leurs professeurs de lycée sur l’aménagement du territoire, ils vont se lancer dans une enquête sur le projet Europa City, ce gigantesque parc de loisirs et de commerces qui projette de bétonner des terres agricoles proches de chez eux. Il filme, chose rare, ce qu’on appelle une épiphanie écologiste : une prise de conscience citoyenne, par l’écologie, à l’âge de tous les possibles. Une prise de pouvoir sur leur vie déclenchée par cette simple question : « pourquoi d’autres décident à notre place de notre avenir ? ». Leur enquête les emmène à la rencontre d’habitants de leur quartier, de promoteurs immobiliers, d’agriculteurs, de députés, etc. Elle les emmène ailleurs que là où la société les assigne, ailleurs que vers les emplois d’Europa City : à la découverte de l’économie qui veut changer le système, à la découverte des terres agricoles voisines qu’ils n’avaient jamais arpentées, etc.. Ils prennent alors conscience de leur pouvoir d’agir et montrent qu’un autre modèle de société est possible, une « Douce France » dans laquelle leur place est enfin légitime, pleine et entière. D’où le titre du film, entre Trenet et Taha, avec comme moteur de cette réappropriation de nos vie par l’écologie.
En filmant la parole d’une jeunesse trop souvent mise à l’écart du débat public, ce documentaire raconte une reconquête du pouvoir d’agir sur son territoire, une reconquête qui met en lumière un lien étroit entre urgence écologique, urgence sociale et besoin de repenser notre démocratie.
Il est un outil, parmi beaucoup d’autres, pour faire sortir l’écologie de son carcan, pour s’interroger nous-mêmes sur nos œillères sociales. Ces œillères construites, qui nous font trop souvent penser le monde depuis notre réalité en demandant aux autres, inconsciemment souvent, de fonctionner selon notre unique point de vue… Là où, pour moi, faire de la politique (au sens noble du terme, celui étymologique de prendre soin de la cité) demande d’être capacité de comprendre de quelle place chacune et chacun parle et de chercher les moyens de répondre à chaque problématique, dans le contexte qui est le sien.
Chercher des moyens de changer la société dans son ensemble, de lui donner un autre cap, est nécessaire quand on veut être une des pierres de l’édifice qui construit d’autres lendemains, solidaires, heureux et donc écologistes.
Avec le confinement, la sortie de Douce France est reportée. Peut être mise en danger. C’est le cas de nombre de films et documentaires engagés en cette période. C’est le cas pour tout le secteur de la création culturelle, même. Mais autour de ce film, des centaines de personnes, comme moi, s’activent et tentent de faire vivre les questions qu’il soulève. Fourmis fantastiques, elles font tourner le financement participatif, les extraits, organisent une réflexion autour de ces derniers et voient dans la crise du covid-19 une expression de ces limites du système et une raison de plus de proposer un changement de cap. Autant de moyens de, chacun et chacune, reprendre le pouvoir sur nos vies et de dessiner le changement de cap nécessaire pour changer la société.
Une goutte d’eau, nécessaire, dans l’océan des personnes qui veulent changer le monde dans la même direction, très loin du « business as usual’ qui se profile.