Les rapports du GIEC, les alertes du monde scientifique se succèdent et toutes ces conclusions sur la dramatique détérioration du climat ne sont malheureusement plus une surprise. Voilà des dizaines d’années que l’on sait, que les scientifiques hurlent l’urgence, mais que les têtes dirigeantes se détournent pendant que la planète brûle, consumée par la prédation de notre système économique. Ce 6e rapport du GIEC n’est pas pire que les précédents, il ne fait que confirmer que l’inaction a des effets : le climat se détériore et si nous n’agissons pas, ces changements demeureront dangereusement irrémédiables.
Nous vivons la 6e extinction de masse des espèces, avec pour signe en France, déjà, une perte de magie, de poésie : les forêts françaises deviennent silencieuses tant l’érosion des écosystèmes retire de leur bande son insectes et oiseaux. Ce silence est l’un des signes que le climat s’est emballé et que les conséquences de ce réchauffement ne sont pas à chercher dans le futur mais nous touchent déjà au présent. Triste constat, mais il est encore temps d’inverser la donne.
Il est encore temps d’agir et c’est la raison pour laquelle les scientifiques redoublent d’efforts pour documenter leurs alertes.
Conséquence, l’une des rares nouveauté dans le rapport du GIEC de cette année est la modélisation de la responsabilité humaine : elle est dorénavant scientifiquement irréfutable. Non pas notre présence ou notre nombre sur la planète, non, mais bien nos modes de consommation et de développement. Ce même système économique qui consume les sociétés en augmentant les inégalités, creusant un fossé historique entre les plus pauvres et les plus riches, octroyant à celles et ceux qui ont tout à la fois le meilleur environnement pour leur santé et l’accumulation de richesses équivalentes au budget de certains pays. Ce même système économique qui avance de plus en plus vite dans une direction dont les scientifiques expliquent depuis des décennies qu’elle concourt à rendre impossible le maintien de la vie humaine sur terre. Ce système, c’est celui que le GIEC pointe aujourd’hui comme responsable quasi exclusivement du réchauffement climatique.
Si le système économique est responsable du réchauffement climatique, qu’est-ce qui nous empêche de le changer ?
Si nous connaissons à la fois les tenants et les aboutissants, à la fois les causes et les conséquences, qu’est-ce qui nous empêche de changer, de sortir de ce cercle vicieux ? C’est tout l’enjeu de la période. Et les forces du renoncement, du statu quo et du retour en arrière fourbissent leurs armes pour mieux éteindre la vague de changement qui se propage, des jeunes générations aux plus anciennes. C’est Eloi Laurent qui, dans Nouvelles mythologies économiques, l’exprime le mieux quand il écrit :
“Le contrat social confronte désormais les méritants qui font (les makers) et les paresseux qui profitent (les takers). La mystification habille va très loin : les déshérités deviennent les rentiers et les héritiers des aventuriers, les riches deviennent des opprimés et les pauvres des protégés, les régressions sociales se muent en réformes et les droits en privilèges, enfin et peut-être surtout, les conservateurs deviennent des progressistes et les progressistes des conservateurs.”
Eloi Laurent
Dans cette vision du monde ainsi réécrite, la parole des écologistes et des scientifiques est dévaluée, présentant le combat pour la justice sociale et environnementale en une dynamique inverse, de l’injustice et l’inégalité. Comme si les inégalités sociales, à travers l’histoire, n’avaient pas été structurées autour des inégalités environnementales et sanitaires. Comme si l’air respiré par les mineurs était le même que celui respiré par ceux qui les exploitaient, en somme.
Pourtant les faits sont là. Étayés, avérés, documentés, mais le mythe persiste : pourquoi changer de modèle alors que la technologie va nous sauver ! Faisons fi des économies d’énergie, développons des machines qui captent la pollution ! Et tant pis si leur aspect énergivore et l’incapacité à traiter les déchets qu’elles produiront n’ont pas été estimés et risquent d’être pire ! Et les pays qui ne peuvent se les payer ? Mais qu’ils se mettent à travailler assez pour le mériter mon bon ami !
Si ce n’était notre réalité, de tels errements prêteraient à sourire. C’est pourtant la base de la réflexion de nombreux états, et parmi les plus puissants. C’est le cas en France et probablement la raison pour laquelle, loin de la communication repeinte en vert, les lois climat et consorts n’en finissent pas d’instaurer un criminel status quo condamné par les tribunaux, sans que rien ne bouge.
Heureusement, la société change plus vite que ses dirigeants.
La jeunesse, une partie d’entre elle du moins, a forgé sa conscience des enjeux loin des circuits maîtrisés de l’information. Sur internet, dans l’opposition de sources contradictoires, ils renouent avec l’esprit des lumières quand leur ainés les dépeignaient en génération perdue. Cet esprit des lumières qui enorgueillit la France alors qu’elle en a oublié le sens et l’essence mais dont Corine Pelluchon rappelle bien les enjeux : celui de la critique, de l’autocritique, active et salvatrice. Et cette jeunesse est contagieuse. Elle fait, elle pense, elle agit. Elle pousse les générations qui la précèdent à se poser d’autres questions et, tout simplement, à se questionner… un retour à la critique qui les avait, qui nous avait, quittés. Sous son impulsion, la société change. Elle se pose des questions sur son uniformité, ses inégalités, la doxa établie et les idées toutes faites. Même si le chemin est encore long.
La crise des gilets jaunes en est un bon exemple. En agitant la taxe carbone comme une sanction sur les ménages au lieu d’un principe pollueur – payeur, qui aurait affecté en premier lieu les plus aisés et les entreprises dont les profits sont basés sur la destruction du climat, le gouvernement a fait le choix d’une fausse écologie et d’une vraie division de la société. Si le principe pollueur – payeur est un principe d’égalité, qui permet de compenser (et surtout d’inciter à faire cesser) l’air vicié qui atrophie les poumons de nos enfants et raccourcit la vie des personnes les plus exposées (spoiler : ce ne sont pas les habitantes et habitants du 8e arrondissement de Paris), une taxe de ce type en était l’exact opposé. Mais elle a servi à quelques cyniques à dérouler la légende d’une écologie qui étrillerai les campagnes et les classes moyennes. Une mythologie utile aux tenants du statu quo, celui qui a vu les classes moyennes se paupériser sans sourciller. Et pourtant, la conscience de l’urgence environnementale existait chez nombre de gilets jaunes, à commencer par Priscilla Ludovsky. Preuve que le travail de sape du statu quo rencontre la résistance d’une prise de conscience sociétale.
Jamais la conscience de l’urgence à protéger le climat n’a été aussi vive et aussi partagée, dans toutes les classes de la société.
Les études le prouvent, en France en particulier : la conscience est réelle. Mais les solutions proposées inquiètent. A juste titre d’ailleurs : on sait ce qu’on a, on connait ce système et son incapacité à nous aider… mais la transition peut apparaître parfois comme grande inconnue, ce qui a toutes les raisons d’inquiéter. Confer la mythologie évoquée ci-dessous et synthétisée brillamment par Eloi Laurent.
Alors dans ce contexte, il y a plus de raisons d’espérer que de renoncer. Espérer que nous serons, nous écologistes, en capacité de proposer des solutions qui verront l’adéquation du plus grand nombre. Espérer que ces solutions apporteront d’ici une décennie les résultats nécessaires en termes d’émissions et d’amélioration des conditions de vie de toute notre population. Espérer que ce chemin ainsi tracé, créateur d’emplois locaux et non-délocalisables, ouvrira la voie à de nouveaux chemins, rappelant ainsi que la France a été un grand pays, précurseur, et qu’elle renouera ainsi avec sa grandeur. Espérer que ce roman historique mais surtout sa réalité, d’une France qui défriche, d’une France qui émancipe, est encore à notre portée.