Ne rien regretter : et si tout commençait aujourd’hui ?

La politique peut être un espace très normé, très prédictif. Mais ce peut être aussi une traduction des peurs et des interrogations de la société et devenir un foutoir incroyable, comme en ce moment, comme avec cette présidentielle où chaque jour, ce qui était écrit hier vole en éclats.

Pour les écologistes, opposés au présidentialisme égocentré de la Ve République, les présidentielles se succèdent et se ressemblent. Elles sont des passages obligés, à la fois joyeux parce qu’elles sont un terrain de mise en avant de nos idées… et douloureux parce qu’elles représentent une campagne contre un système que l’on combat et pour lequel, pourtant, nous sommes obligés de porter le costume.

2017 sera devenue l’exception à la règle. Le moment qui sonne le premier retrait, démocratique et concerté pourtant, d’une candidature écologiste. Et même quand on est convaincu-es que cet espace politique est mauvais, qu’il n’est pas fait pour nous, qu’il est contraire à nos valeurs de transversalité et de partage démocratique, un retrait n’en est pas moins chose douloureuse. En tant que membre de la direction, je partage plus que quiconque la responsabilité de ce retrait, de cette folle campagne.

Pourtant je ne regrette rien. Cette campagne s’achève bientôt et contre toute attente, j’en retire de la fierté.

Il y a quelques mois, nous rappelions à travers le Congrès de Pantin notre refus de la ligne gouvernementale et donc notre refus de la politique développée par le PS. Et ce sans renoncer à nos valeurs positives : en rappelant qu’après ce massacre en règle, la recomposition était plus que jamais nécessaire. Opposé-es aux réformes austéritaires et libérales de ce gouvernement, nous sommes descendus dans la rue sans faiblir tout au long de ce quinquennat. Nous avons défilé pour un autre projet de société en rappelant que la COP21 ne pouvait être muselée, que des projets dangereux comme NDDL ou Bure ne pouvaient hypothéquer notre avenir commun, que la loi travail ne faisait que le détruire, que la lutte contre le terrorisme ne pouvait se faire au détriment de nos droits, que les discriminations et les violences policières étaient hors de propos dans une démocratie, etc…

Je suis de celles qui conchient un PS qui n’a depuis longtemps de socialiste que le nom, qui bafoue ses principes et éreinte et humilie les valeurs de ses militant-es. C’est ce qui nous a poussé-es à voter à plus de 80% contre une alliance avec eux. Et nous avons tenu parole : la campagne de Hamon est ce qu’il y a, sur le fond comme sur la forme, de plus dangereux pour les normateurs du social-libéralisme.

A nos côtés, souvent, le Parti de Gauche et le PC, sont des compagnons de route avec lesquels nous menons combats et parfois campagnes communes. Nos points de convergences sont aussi connus que nos points de divergences mais quand les luttes convergent, nous savons mettre entre parenthèses ces dernières.

Jean-Luc Mélenchon et Benoit Hamon sont comptables de la grande opération de changement à l’œuvre. Tous deux ont misé sur les valeurs que les écologistes portent depuis 40 ans. Logique pour le PG qui s’est fondé avec l’ancienne Verte Martine Billard. Plus étonnant pour Hamon dont le passage par l’économie sociale et solidaire a probablement forgé un nouveau logiciel d’appréhension de la politique. Tous deux, par leur action, l’un à l’extérieur, l’autre à l’intérieur, ont tenu bon sur une ligne minoritaire au milieu des éléphants. Tous deux, par leur action, l’un à l’extérieur, l’autre à l’intérieur, ont dépassé les cadres qui imposaient au parti une ligne qui n’était pas la sienne. Tous deux, au final, ont mis l’écologie au cœur du logiciel de la « gauche » française et ont semé les graines d’une possible recomposition du paysage politique que nous appelons de nos vœux. Et nous, au milieu, avons été l’engrais de leur transformation.

Non, je ne regrette rien de cette séquence, si ce n’est mon vote du second tour de 2012. Comme des millions de françaises et de français, le sentiment de trahison n’a cessé de grandir tout au long des 5 années de ce quinquennat.  Et pourtant, en faisant la campagne de Hamon, pas une seule fois je n’ai eu l’impression de me trahir moi-même …. Et pour cause : son programme est le pire cauchemar des Hollande, des Valls, des Macron. Il est donc aussi le pire cauchemar des Gattaz, des MEDEF, du CAC40 et de tous les lobbys qui font passer les gains de leurs actionnaires avant nos vies. Le programme de Hamon est l’antithèse de ce que nous combattons et sa campagne est une victoire idéologique de David contre Goliath.

Non, je ne regrette rien de mon vote pour un rassemblement large. Je regrette simplement le refus catégorique de nous rencontrer de la France Insoumise et la peur de militant-es, voir de cadres, qui partagent le même rêve de recomposition que nous de parler en public avec nous de peur de représailles. Je regrette cette cinquièmerépublication des rapports en temps de campagne qui ont éloigné nos camarades du PG et du PC, les noyant dans le flot de la France Insoumise. Je regrette qu’il n’ait été question avec eux que de fusion-acquisition et jamais de rassemblement, contrairement à ce que nous ont toujours proposé les proches de Hamon. Mais je garde espoir : pour demain, rien n’est écrit.

Je suis même fière de cette campagne. Alors qu’il y a quelques mois nous étions des technicien-nes quand nous parlions de perturbateurs endocriniens, l’expression et les dangers qu’elle implique font partie aujourd’hui du débat politique. Alors qu’il y a quelques mois nous étions peu à parler de Grands Projets Inutiles Imposés, leur refus est aujourd’hui logique dans une pensée économique et écologique qui s’est démocraisée. Alors que le nucléaire était le fond de commerce de la France, il est aujourd’hui normal d’entendre sur les plateaux TV qu’il est dangereux de miser dessus, dépassé de le considérer comme un moyen d’autonomie énergétique et qu’il constitue un système trop onéreux pour être continué.  Alors que nous étions les premiers à mettre notre programme dans les mains du grand public à travers une plateforme participative , les programmes présidentiels sont aujourd’hui livrés au grand public, et tout le monde peut constater combien l’intelligence collective est constructive, combien ouvrir est plus riche que composer en cercle fermé. Et la liste est longue de ces combats que nous menions dans l’ombre qui ont été mis en lumière par cette fantasque campagne présidentielle.

J’ai écouté la quasi-totalité des discours de Hamon et une grande partie de ceux de ses adversaire et de son « concurrent ». Pas une fois je n’ai eu à rougir, pas une fois je ne me suis sentie flouée, pas une fois je ne n’ai pas été emportée par l’espoir que notre candidat veut mettre dans un futur désirable, inclusif, partagé. Certes, il y a le nucléaire militaire, mais c’est là le seul point dur que j’ai pu noter.

J’ai écouté la quasi-totalité de ses discours et de ses interview et j’ai éprouvé une fierté que j’ai rarement éprouvée dans ma courte vie politique. Celle de la synthèse entre nos propositions et la façon dont on pouvait les rendre entendables et comprenables par le plus grand nombre. Un talent que partagent Mélenchon et Hamon, et qui manque souvent à nous-mêmes.

Je ne sais pas ce que les résultats sortis des urnes donneront dimanche, mais je sais déjà que nous avons gagné. L’écologie a infusé la campagne et même Macron est contraint à en mettre quelques touches dans son programme. Nous avons gagné, comme souvent, la bataille des idées contre un PS qui n’a eu de cesse de poignarder un candidat qui a eu l’outrecuidance de mettre en écho son engagement politique et ses propositions, contre un système qui s’abime dans le mythe du sauveur au lieu de miser sur la force du collectif.

Le plus dur reste la suite. Pas la suite directe, celle des législatives, qui sera de toutes façons une suite logique du résultat de la présidentielle. Même si, pour nous, ce combat reste plein et entier puisqu’il s’agira de ne pas laisser à un PS-libéral la place de reprendre la main en restant le lien entre les hamonistes et le reste de la gauche, insoumise ou non. Non, le plus dur sera l’après.

L’après, quand le PS-ligne-gouvernementale mettra en ordre de bataille ses cadres pour faire taire la volonté de ses militant-es. L’après, quand Mélenchon demandera de nouveau des ralliements sans penser le rassemblement. L’après… que la douche soit froidement droitiste ou chaudement à gauche, il faudra tout reposer, tout repenser, tout reconstruire, en dehors des clivages partidaires que nous connaissions jusqu’ici et dont on sait qu’ils sont en fait éculés depuis longtemps, dépassés par la force de la société civile.

Parce que c’est après, que tout commencera vraiment et que nous devrons être à la hauteur de ce que nous portons. Les discours sont toujours plus aisés que les actes, et ce passage d’une recomposition prônée à une recomposition actée sera le plus difficile. Mais probablement le plus inspirant, le plus enthousiasmant que nous ayons politiquement connu depuis longtemps.

Tout commence aujourd’hui, et jusqu’ici, il n’y a rien à regretter.

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