Retranscription de mon intervention au Forum organisé par Libération et Esther Benbassa le 9 février 2017 au Sénat.
Face aux cas de violences sexuelles, la première réaction est souvent épidermique.
Accepter que derrière le gendre idéal se cache un meurtrier, que derrière l’homme politique se cache un violeur, que derrière un patron se cache un harceleur … rien de cela n’est simple.
Chaque prise de conscience crée une dissonance cognitive : comment est-il possible que cela existe ? Comment est-il possible que je n’aie rien vu ?
Face aux violences sexuelles, ce qui complique l’acceptation par les organisations, c’est qu’il s’agit de comprendre et d’assumer que nous avons une responsabilité, individuelle et collective, dans les crimes qui ont été commis dans nos organisations.
Ceux dont on a entendu parler sans savoir qui, sans savoir quand.
Ceux dont on aurait dû parler, même sans savoir qui, même sans savoir quand.
Mais, disons-le crûment : il est plus facile pour la classe politique française de stigmatiser les musulmans ou les pauvres sur leurs rapports présumés aux femmes que d’assumer ses propres hypocrisies structurelles.
Dans les pays nordiques, pourtant, les choses sont sont différentes : au moindre soupçon, les politiques se retirent, qu’ils soient ou non coupables, parce que c’est le respect des victimes qui prime. Simplement.
En France, on en est encore loin. On en est au stade où, comme dans la loi, la victime doit prouver son préjudice. Et le faire dans les temps.
Le violeur peut voir son crime prescrit.
Le traumatisme de la victime, lui, ne le sera jamais.
Face aux diverses révélations, pour semer le doute et nous diviser, certain-es ont cherché à imposer un faux dilemme : choisir entre la présomption d’innocence (l’égalité face à la loi) et ce qui fonde nos engagements : protéger les victimes.
Comme si l’un se faisait au détriment de l’autre.
Comme si les victimes allaient contre la loi.
Le gouvernement, lui, ne s’est pas posé de question, malgré la déclaration de grande cause nationale des violences faites aux femmes.
Il vient de trancher 2 fois dans le sens du plus fort, en solidarité de classe et de genre, en tentant d’imposer comme une réalité, par une stratégie de communication, l’innocence de ses ministres avant même que les victimes ne puissent s’exprimer.
Parce qu’il faut le rappeler : dans l’état actuel du système, parler, pour les victimes, c’est prendre un risque : celui de la vindicte populaire, de l’exposition, de perdre son travail, d’être mise au ban parce que l’homme qu’on accuse est plus puissant, plus renommé etc.
Après les immenses avancées de l’affaire Baupin, après la percée de l’affaire Weinstein, des #metoo et autres #balancetonporc, la parole des femmes commence enfin à être entendue, leur (notre) combat commence à faire changer les mentalités.
A contrario, le message envoyé par le gouvernement à toutes les femmes, à toutes les victimes, est très clair : vous ne gagnerez jamais face à nous. C’est une régression terrible.
Me revient une anecdote …
C’est un élu francilien qui dit à une victime, en prenant l’ascenseur avec elle, qu’il a peur de se prendre un procès en montant avec elle, sur le ton de la blague.
Comme si c’était “drôle”, comme si ce n’était “rien” de plaisanter des traumatismes vécus, comme si, au final, ce n’était pas grand-chose.
Pourtant, le courage de Sandrine, d’Annie, d’Elen et d’Isabelle, les 4 visages de l’affaire Baupin qui comprend bien plus de victimes, a ouvert la voie.
Il n’a rien de drôle : il est admirable.
On ne va pas se mentir : leur démarche n’a pas été facile et, même pour un parti féministe comme Europe Ecologie – les Verts, entendre leur parole n’était pas évident.
Car ils sont encore nombreux celles et ceux qui décrédibilisent la parole des femmes, qui prennent par principe le parti de l’homme, qui décrètent que leur parole n’a qu’une fonction politique.
Parce que les partis sont comme ça : grégaires, repliés sur leurs écuries, faisant trop souvent passer les ambitions personnelles avant les convictions.
Mais, face à ce dilemme, entre présomption d’innocence et accompagnement des victimes, nous avons collectivement choisi d’être aux côtés des victimes sans déroger à la loi.
Parce que c’est là qu’est notre place : au côté des victimes.
Les bourreaux n’ont pas besoin de notre aide : ils ont déjà la société, le système avec eux.
Certes, cela impose une remise en question, une interrogation de ce qui a échappé, de ce qui a failli. C’est la première étape : accepter que l’on a collectivement merdé. Gravement.
Parce que oui, ce n’est pas facile de constater que ce n’est que dans les mouvements progressistes qu’on en parle, que ce n’est que l’arc de gauche qui est vu comme coupable.
Mais ce qui est le plus effrayant est probablement ce qui est tu, ce qui est tenu par l’omerta, à droite, à gauche ou au FN.
Mais, si nous ne lâchons rien, peut-être que cela changera enfin.
Si la parole se libère dans nos organisations, à gauche et chez les écologistes, ce n’est pas étonnant. C’est parce qu’il y a dans nos rangs des féministes nouvelle génération que la parole peut émerger.
C’est parce que la parole des femmes y est respectée que c’est là qu’elles peuvent, un peu plus, être entendues.
Si l’affaire Baupin a été assumée par les écologistes et les victimes soutenues, quand d’autres affaires ont été étouffées et des victimes déconsidérées par leur organisation (on a toutes et tous encore en tête le traitement des victimes de l’affaire DSK), c’est parce que EELV, malgré ses manquements et ses lacunes, est un parti profondément féministe.
Face à l’inacceptable, les écologistes ont choisi d’assumer collectivement et donc de se doter d’outils pour que chaque victime puisse parler sans crainte.
Grâce à la force des 4 plaignantes, au travail de Sandrine Rousseau lorsqu’elle était à la direction du parti et de Charlotte Soulary, responsable de la commission féminisme, les écologistes ont mis en place un dispositif d’accueil de la parole des femmes qui respecte l’anonymat et permet une prise en charge par des associations, et donc des personnes extérieures. Parce que parler à d’autres, mais en lien avec son collectif, est important.
Ce dispositif est d’une grande simplicité, n’impose pas de coûts excessifs aux structures qui le mettent en place et sa souplesse permet son déploiement ou sa mutualisation pour n’importe quel type d’organisation et n’importe quelle taille de structure.
Il pourrait être une base de travail pour tous les partis et, plus globalement, pour toutes les structures en France pour s’assurer qu’a minima, la parole des femmes soit prise en considération.
Ce n’est, bien évidemment, qu’un outil palliatif qui ne saurait constituer une réponse à un problème structurel qui trouve ses origines dans le rapport du politique aux femmes.
Ce rapport qui fait qu’il est plus évident pour la droite de payer des pénalité que de respecter la parité.
Ce rapport qui fait aussi qu’il est normal pour la gauche de mettre les femmes dans des terres de mission et les hommes dans des endroits gagnables.
Sur le sujet, les écolos pratiquent depuis longtemps la parité élective afin qu’autant de femmes que d’hommes aient des chances d’être élu-es.
Et, de fait, les groupes d’élu-es EELV sont toujours paritaires.
Et, de fait, les femmes y occupent des postes ailleurs réservés aux hommes.
Ce n’est pas facile, on ne nous épargne pas, mais nous nous occupons de stratégie, de finances, nous dirigeons, …
Ce n’est donc pas un hasard si, malgré tous nos défauts, nos manquements, nos erreurs, ce sont des femmes, des élues écolos, qui brisent le silence.
Historiquement, les révolutions partent de la gauche.
Cette révolution des femmes part des écologistes.
Il n’y a pas de hasard dans l’évolution des systèmes et de la pensée.
Cela fait des décennies que les femmes rappellent que la honte doit changer de camp : il est temps de doter les Françaises d’outils et de recours pour pour que les inégalités sociales ne soient plus le lit de violences quotidiennes passées sous silence.
Dispositifs d’accueil de la parole, formation des personnels, sanctions, sont autant de mesures urgentes, nécessaires et faciles à mettre en œuvre si tant est que la volonté politique soit au rendez-vous.
Il est de notre responsabilité, à nous, politiques, d’être soutiens de cette révolution tant attendue.
Le devoir d’exemplarité nous y oblige.
Les victimes ont ouvert la voie, c’est à nous de continuer à les soutenir contre tous les conservatismes. Pour toutes les femmes, pour toutes les victimes, pour l’égalité et pour que la démocratie se porte mieux.